jeudi 17 janvier 2019

DIX MOI - 5. LE CRI DU BEBE BLEU.



- 5. Le blues que vous affectionnez tant, correspond à un état d'âme triste d'une personne déprimée. Que c'est-il passé dans ton enfance pour que vous soyez si marquée ?

Au sujet du premier point de la question, contrairement à l'idée reçue qui est d'associer le blues à la déprime et la tristesse, je tiens à dire que c'est là une notion très réductrice puisqu' il y a des blues très joyeux, jubilatoires, d'autres très revendicateurs et politiquement engagés puis encore ceux qui expriment la nostalgie, la peine et la tristesse. Le blues exprime les joies et les peines... (comme l'a si bien chanté Johnny Halliday mais dont la meilleure chanson pour moi est Quelque chose de Tennessee) ...des uns et des autres. Le blues est un genre musical et poétique qui emprunte des déclinaisons très diverses afin d'exprimer la vie privée, publique de la communauté humaine. Le blues est l'expression de l'âme des gens dans la vie. Le blues peut donc prendre aussi des formes tout à fait de joies jubilatoires, alors il est la démonstration qu'il ne faut pas surtout pas prendre les certitudes pour argent comptant, que les idées reçues sont presque toujours trompeuses, que rien ne vaut l'expérience empirique et qu'il est bon de savoir être relatif en toute chose en toute occasion, ce qui n'est pas simple j'en conviens mais le blues alors, moi, il m'aide...

En second lieu, en rapport à mon enfance qui globalement n'a pas été une enfance malheureuse du tout ! J'ai conscience que j'ai vécu une expérience très particulière alors que j'avais 6 ans et qui je le crois m'a profondément secoué. En aout 1962, je me retrouve en colonie de vacances en Suisse et, là, je me chope une très grave pneumonie, j'ai craché du sang ! j'ai perdu connaissance, je pense avoir flirté avec la mort au moins de deux manières différentes cette fois là. Je me suis retrouvé hospitalisé dans une chambre, j'en ai un souvenir très blanc ! avec deux lits, le mien, prés de la porte, et celui, prés d'une grande fenêtre, d'un vieux Monsieur qui gémit sans cesse et tousse à s'arracher les poumons. Tout le monde est très gentil, prévenant avec moi ; bien sûr mes parents ne sont pas présents car du Nord de la France à la Suisse il y a une sacrée trotte et mes parents qui sont d'un milieu très modeste n'ont alors pas de voiture ! Bientôt le personnel hospitalier vient mettre un paravent blanc entre mon lit et celui du vieux Monsieur puis dans les heures qui suivent on m'emporte dans une autre chambre où il n'y a que des jeunes hommes et tout le monde continue à être très gentil avec moi, notamment un jeune homme qui a une jambe sacrément amochée et avec une impressionnante broche métallique pour lui rafistoler la guibole. En discutant avec lui je comprend qu'il a eu un accident de moto et que j'ai assisté à son accident ; juste avant de perdre connaissance, j'étais au bord d'une route qui traverse en zigzague une clairière dans une épaisse forêt de sapin, en Suisse, où les moniteurs de la colonie ont emmené les gamins regarder passer une course de moto et c'est comme CELA que j'assiste à une sortie de route d'un motard qui dérape dans un virage et ce retrouve dans le décor et c'est là que je perd connaissance. Mais le motard et moi, on se retrouve dans le même hôpital et bientôt on se croise dans la même chambre. Quand on me ramène dans ma chambre initiale à deux lits, le paravent blanc n'est plus là et le lit du vieux Monsieur est fait impeccable et vide, j'ai le souvenir alors d'une lumineuse clarté dans la pièce qui baigne dans une réconfortante chaleur de par le soleil qui traverse la vitre de la fenêtre de la chambre. Bien sûr, personne ne m'a jamais dit que le vieux Monsieur est mort ! CELA m'a marqué en effet, je me souviens de tout avec tant de détails que CELA tourne dans ma tête comme la ritournelle T.B Blues à propos de la tuberculose que Jimmy Rodgers, Leadbelly, où Victoria Spivey osaient chanter.



Puis je suis un bébé bleu ! Mes parents m'ont souvent raconté que quand je suis venu au monde, à peine accouché, je ne respire pas ! Alors la sage femme, Madame Cabusel, me clique les fesses, je crie ! mes poumons s'ouvrent, je respire, je pleure... et donc VIE ! Vive le Blues ! Ces souvenirs, l'un conscient, l'autre non mais rapporté, j'y pense souvent encore, je rectifie même volontairement en corps ! car quand tout va mal de m'en souvenir CELA m'aide à savoir être relatif, même si les événements sont dramatiques. Je crois que c'est CELA le vrai blues, dans le regard, la parole, le chant, l'expression une mise à distance, une prise de recul qui finalement aide à trouver une certaine force, une propension à gérer des émotions qui nous submergent et qui pourraient nous être fatal. Bref, mon blues, je le vois et vis de la sorte... comme une mise à distance d'avec moi même pour pouvoir continuer l'affrontement avec la vie, comme dans la chanson L'oiseau de nuit de Michel Polnareff.



Le CRI du bébé bleu (24.11.2006)-extraits.
Au Pépé Suisse.



[...] Dans un sanatorium, il crachait ses poumons dans une cuvette, remuant ses doigts dans le sang avec ravissement, ce qui avançait avec la faux invisible à travers la vallée était une ombre [...]*

[...] C'est vraiment pour moi, ma première expérience avec la mort, pas tant parce que c'était moi qui crachait le sang mais à cause qu'à l'hôpital on m'avait parqué dans la même chambre qu'un vieillard qui n'arrêtait pas de gémir, de râler et de crachoter quand il le pouvait, il tentait généreux de me parler mais je ne comprenais rien. Je voyais bien qu'il souffrait mais qu'au delà de sa souffrance il demeurait bon et juste puisque de ces regards tendres et bienveillants il essayait de me rassurer. Il y avait une immense bonté, de la sainteté !? dans ses yeux malgré sa grande souffrance qui ne s'arrêtait que lorsqu'une dame du personnel soignant venait lui faire une piqûre mais avant que quelqu'une vienne ça pouvait durer des heures. Quand une de ces dames arrivaient enfin pour soulager le Pépé, j'éprouvais de la haine envers elle, je souhaitais vraiment la voir là, à son tour à la place du Pépé. C'était vraiment des sentiments nouveaux pour moi l'amour, la compassion et la haine mêlés. Puis il y a eu ce jour où l'on est venu mettre un paravent blanc entre Pépé et moi. Dans les heures qui suivent, on vient me prendre et me m'emporter dans une autre chambre. Là, c'est très curieux, mystérieux, c'était une chambre où il n'y avait que des jeunes hommes dont un avait une jambe plâtrée avec une broche métallique qui dépassait. C'était un coureur de courses de motos, donc pour moi c'était un peu, à cause de la fabuleuse séquence final du film La Grande Evasion, Steve McQueen que j'avais découvert quelques temps auparavant lors de ma toute première sortie familiale au cinéma avec mon père. Et à l'hôpital, ce jeune était véritablement un pilote de courses de motos qui avait eu un accident lors d'une compétition, il m'a raconté ça et là pour moi c'est vraiment étrange car j'ai réellement vu cet accident... 

[..] Et le bébé prit feu. Les flammes s'enroulèrent autour de sa bouche et attaquèrent les gencives qui se contractérent. Autour de son cordon rouge, les flammes léchèrent son petit ventre jusqu'à ce que la chair saignante s'affaissât parmi la bruyère. Une flamme toucha sa langue Hiiiii ! cria le bébé qui brûlait et la colline répercuta le cri.*

Saint Amand-les-Eaux, le 24 novembre 2006 ;
revu et modifié en Dwai, le 26.12.2018.

*extrait de la nouvelle Le bébé qui brûlait de Dylan Thomas.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire